[BUSINESS] Esclavage, prostitution et pornographie, le trio infernal
Vous avez sûrement déjà entendu l’argument en faveur de la pornographie mettant en avant que les acteurs choisissent librement la plupart du temps de se prostituer ou de faire des films à caractères sexuels. Il existe pourtant un consensus de plus en plus grand sur le fait que l’univers pornographique corresponde à une nouvelle forme de prostitution.
Quel lien existe-t-il entre pornographie et prostitution ? Comment l’exploitation des femmes est-elle au service du business de la pornographie ?
Le business de la pornographie
Selon le Protocole des Nations Unies, la traite des personnes se définit par le fait de recruter, transporter, et transférer, des personnes en ayant recours à la force, à la menace, à la contrainte, à la tromperie, à l’enlèvement, ou à d'autres moyens, comme l’abus de pouvoir sur quelqu’un en position de vulnérabilité, en vue de l'exploiter. Cela peut inclure l’exploitation d’autrui à des fins de prostitution de nature sexuelle ou de travail forcé. Le consentement des victimes dans le cadre de la traite des êtres humains n’est pas véritable lorsque l’une ou l’autre des formes ci-dessus a été utilisée.
Le juriste Borja Fernandez Burgueo (2017) souligne que la création de contenu pornographique est l’un des objectifs du trafic à des fins d’exploitation sexuelle. La pornographie n’est pas récente, mais, dans un contexte de mondialisation des services Internet, elle s’est considérablement développée, en étant aujourd’hui l’une des entreprises illégales les plus lucratives au monde, en plus d’être reliée à d’autres, comme celle de la drogue ou de la prostitution. Le mot « pornographie » est d’ailleurs né de l’union de deux mots grecs, porne (prostituée) et grâphein (écrit), voulant dire ainsi qu’il s’agit d’écrits sur la prostitution.
« Le problème est beaucoup plus large et concerne le néolibéralisme et la mondialisation, parce que le proxénétisme est devenu une industrie qui n’a pas de frontières, qui fait bouger l’économie des pays (...). Il y a aussi un grand intérêt à créer des proxénètes (...) La pornographie, par exemple, est un excellent outil pour la fabrication de proxénètes. (...) Nous fabriquons des agresseurs sexuels à échelle mondiale ». Amelia Tiganus, survivante de la traite de personnes en Espagne
Prostitution et pornographie : même fondement.
La pornographie a été modernisée et adaptée aux modes de consommation mondiaux, atteignant des millions d’utilisateurs grâce à la création de millions de sites web (1) : il existe 800 millions de sites pornographiques dans le monde, 3/5 se trouvant aux USA ; chaque année sont téléchargées 230 millions d’applications pornographiques ; chaque jour il y a 68 millions de recherches pornographiques.
L’’expansion et la modernisation de l’accès à la pornographie ont amené en parallèle à des formes d’exploitation sexuelle également modernisées, et de plus en plus liées par la suite à la pornographie. Selon le rapport de l’association Fight The New Drug de 2019, 49 % des femmes victimes d’exploitation sexuelle ont déclaré que du matériel pornographique avait été enregistré alors qu’elles se prostituaient (enquête menée dans 9 pays).
Il s’agit d’une même industrie dont le fondement est la marchandisation du corps féminin.
NB: Il est important de souligner l’efficacité de l’industrie pornographique en ce qui concerne la vente de sexe, en raison de son immédiateté, de son caractère anonyme et de sa capacité à exposer tout un panel de pratiques sexuelles.
La pauvreté, facteur de risque élevé pour l’exploitation pornographique des femmes
Selon l’Unité d’aide fiscale pour les enlèvements et la traite des personnes en Argentine, 98 % des victimes de la traite à des fins d’exploitation sexuelle sont des femmes et des filles. Et Shared Hope International affirme que la nouvelle façon de faire de la publicité pour le commerce du sexe est basée sur la diffusion d’images pornographiques de ces dernières.
La consommation de pornographie encourage la demande de trafic sexuel : le trafic fournit à la prostitution la matière première et la pornographie alimente l’idéologie qui maintient la prostitution (6). L’industrie pornographique ainsi que les réseaux de prostitution attirent les jeunes femmes par le biais de la publicité et des offres d’emploi attirantes et rémunérées. Beaucoup d’entre elles tombent dans le piège de la prostitution en ligne, et se retrouvent ensuite attachées à ces industries par les menaces, l’isolement, l’obligation de la prise de drogues et les dettes qu’elles doivent en lien avec leur transfert. Cette pauvreté féminine est un facteur clé de vulnérabilité dans les flux migratoires des femmes.
Il est urgent de proposer une éducation sexuelle précoce et complète, qui permette une véritable prévention auprès des jeunes et des femmes vulnérables, sur les risques de la sphère pornographique. Déclic soutient les démarches combattant toutes les formes d’exploitation des femmes, et souhaite un renforcement des politiques de prévention et de protection des femmes victimes de la traite sexuelle.
Sources:
Trends J.R. Stonnes, A. Havey, D. Hughes et al. Données sur les principaux portails internet de contenu pour adultes. The Economist, The Guardian, Google
NB. Les données correspondent à des études et des statistiques récentes, la plupart de 2015 et 2016.
Nuño Gómez, L. y Álvarez, A. (Eds.). (2017). Elementos para una teoría crítica del sistema prostitucional. Granada, España: Editorial Comares.
Fernandez Burgueño, B. (2017). La traite d’êtres humains dans la législation nationale et internationale, et sa relation avec la protection internationale. Nómadas. Critical Journal of Social and Juridical Sciences 51(2), 157-168.
Fight The New Drug. (2019).
Stutler, Ana. (2011). The Connections Between Pornography and Sex Trafficking. Covenant Eyes.
Szil, P. (2018). En manos de hombres: pornografía, trata y prostitución. ATLÁNTICAS – Revista Internacional de Estudios Feministas 3 (1), 113-135